
Les marchés poursuivent leur rebond grâce à des signes encore ténus de déblocage avec le Japon et la Chine sur la question des droits de douane et de bons chiffres d’emploi en fin de semaine, tandis que les résultats des entreprises mettent en évidence des incertitudes accrues.
Que nous enseignent les résultats de la tech sur l’impact des droits de douane et sur la demande d’IA ?
Macro 🔭
Aux Etats-Unis, il aura fallu une semaine à Trump pour refaire machine arrière à propos de Powell, déclarant entre autres que le président de la Fed « ne fait pas vraiment du bon boulot ». Le PIB du premier trimestre baisse pour la première fois depuis début 2022. L’indice manufacturier de la Fed de Dallas plonge, celui des services aussi, l’activité économique de la région de Chicago se contracte pour le 17ème mois d’affilée, et l’ISM manufacturier d’avril indique une contraction pour le troisième mois d’affilée. Côté immobilier, la hausse des prix (indice Case-Shiller) ralentit à un niveau élevé, et les demandes de prêts hypothécaires continuent à baisser. Enfin, les indicateurs de santé du consommateur sont contrastés : les ouvertures de postes (enquête JOLTs de mars) repartent à la baisse mais le mouvement est mineur, les créations d’emplois de l’enquête ADP d’avril sont très décevantes, les inscriptions au chômage remontent un peu, mais les créations d’emploi non agricoles baissent moins que prévu. Pas de doute en revanche sur la sombre humeur des ménages : la confiance du consommateur atteint un plus-bas de 5 ans et les attentes pour les six prochains mois un plus-bas depuis 2011 dans le sondage d’avril du Conference Board. L’inflation mesurée par le PCE ralentit un peu moins que prévu.
Le rattrapage des indices européens n’est pas injustifié : la croissance du PIB de la zone € surprend à la hausse, à 1,2% (annualisé) au premier trimestre. Avant que les droits de douane n’entrent en vigueur, certes. L’indice de sentiment économique n’en continue pas moins de flancher en avril, de même que la confiance du consommateur, dont les anticipations d’inflation repartent à la hausse. L’inflation est stable en avril en première lecture (2,2%) alors qu’un petit ralentissement était attendu. Le taux de chômage est stable à 6,2%.
Au Japon, la banque centrale acte l’effet des droits de douane en maintenant ses taux inchangés et coupant ses attentes de croissance et d’inflation. Les projections de la banque pour ses taux directeurs, proches de 0,9% en mars, sont passés à 0,6% environ depuis le Liberation Day. Le taux de chômage passe de 2,4 à 2,5%, et l’indice de confiance du consommateur baisse sensiblement. En revanche, les mises en chantier repartent très fortement, marquant la plus forte expansion depuis 2008. La production industrielle recule en raison de l’automobile.
En Chine, sans surprise, l’activité ralentit : le PMI composite reste en zone d’expansion, mais la composante manufacturière passe au-dessous de 50. Le ministère du commerce fait un signe d’apaisement en direction des US, relevant dans un communiqué que des officiels américains ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté d’engager des négociations. La Chine a également discrètement exempté l’équivalent de 40 Md$ d’importations américaines de produits indispensables (pharmaceutiques notamment) de droits de douane.
Le bitcoin a pris environ 12% en avril, et les ETF bitcoin ont enregistré des souscriptions après deux mois de rachats.
Micro 🔬
Le consensus des analystes pour les bénéfices par actions de 2025 a été revu à la baisse au cours des trois derniers mois pour tous les pays sauf le Japon. Les baisses les moins marquées sont en Suisse et en Chine, les Etats-Unis sont nettement plus affectés que le reste du monde, et les grands perdants sont les Nordiques et la France (presque 5% de révision à la baisse).
Le port de Los Angeles annonce des volumes en baisse de 30% la semaine prochaine, les principaux distributeurs américains ayant stoppé tous les envois de Chine en raison des taxes. 40% des capacités des porte-conteneurs entre l’Asie et les Etats-Unis pour le deuxième trimestre ont été annulés.
Musk avait fait allusion au problème lors de la publication de la semaine dernière : pour construire des usines aux Etats-Unis, il faut souvent des équipements qui ne sont fournis que par les Chinois. Plus de 180 sociétés ont déposé des demandes d’exemption de taxes sur leurs importations ne provenance de Chine.
Selon le Wall Street Journal, le conseil d’administration de Tesla, qui réfute l’information, aurait contacté des cabinets de chasse de tête pour remplacer Musk.
L’incertitude macro se reflète dans les résultats des entreprises : Airbnb fait état d’un ralentissement de la demande aux Etats-Unis en raison de l’incertitude économique et attend un ralentissement de sa croissance au deuxième trimestre. Booking fixe une fourchette d’objectifs plus large que d’ordinaire pour refléter « l’incertitude accrue sur l’environnement macroéconomique ». Mondelez (Oreo, Milka, Toblerone, TUC etc) dit que les consommateurs, inquiets, priorisent les dépenses essentielles aux dépens des snacks. Snap alerte sur la faiblesse de la publicité en avril et ne donne pas d’objectifs pour le deuxième trimestre. La disparition de l’exemption de droits de douane pour les petits colis venant de Chine affecte la demande de publicités, d’abord chez Snap car l’app est moins indispensable que Facebook ou Instagram. General Motors suspend ses objectifs annuels et son rachat d’actions en raison des incertitudes sur l’impact des droits de douane. Mercedes et Stellantis retirent également leurs objectifs annuels. Volkswagen les maintient mais rappelle qu’ils ne prennent pas en compte les effets des droits de douane. Que Trump atténue cette semaine.
La minute innovation 🧚🏻
Meta lance l’app Meta AI, un assistant personnalisé indépendant conçu notamment pour s’apparier avec les smartglasses Ray-Ban. La fonctionnalité Discover vous permet de voir les recherches IA de vos connexions (avec leur autorisation). Bref, vous pouvez donner accès à tout ce que vous recherchez, dites et voyez (en plus de ce que vous publiez sur FB, Insta etc) au LLM de Meta et à tous vos contacts. 🙃 On attend avec impatience le réseau social d’OpenAI.
Une étude (contestable mais intéressante) de l’université de Zurich a montré que des bots se faisant passer pour des personnes réelles sur un forum de Reddit étaient six fois plus persuasifs que les humains. Cambridge Analytica, la préhistoire ?
Huawei, sur la liste noire des Etats-Unis depuis 2019, serait sur le point de tester une nouvelle puce susceptible de rivaliser avec celles d’Nvidia. Pas tout à fait prête, ni au niveau des derniers GPUs d’Nvidia, et très gourmande en énergie, mais la progression est rapide. DeepSeek R2 serait sur le point de sortir, il serait entraîné sur des puces Huawei, et Xi Jinping a déclaré samedi dernier viser l’indépendance totale dans l’IA.
Tech takes 🤔
L’exceptionnalisme américain est remis en question, les résultats des grandes valeurs de technologie ne le sont pas pour l’instant. Que nous apprennent les publications sur les deux principaux déterminants de la trajectoire du marché, l’impact des droits de douane et les investissements dans l’intelligence artificielle ?
Microsoft surpasse les attentes des analystes, tant en chiffre d’affaires (+13%) qu’en bénéfices par action (+18%). Les ventes de la division cloud, en hausse de 22%, rassurent sur la trajectoire de monétisation de l’IA, à l’origine de la moitié de la croissance d’Azure. La société déclare avoir ouvert dix datacenters au premier trimestre, les annulations de constructions dont la presse avait fait état ne sont pas confirmées, et des contraintes de capacités pour l’IA sont annoncées à partir de juillet. La prévision de capex du prochain trimestre est inchangée par rapport à janvier, et pour l’année fiscale commençant en juillet une hausse est prévue, mais moindre qu’en 2025.
Meta annonce un chiffre d’affaires en hausse de 16% (après 3% d’effets devises négatifs), provenant essentiellement de la publicité, qui bénéficie de hausses de prix de 10% au T1. Surtout, la société augmente ses objectifs de capex, attendus en hausse de 84%, en raison d’investissements accrus dans des datacenters et de coûts de hardware plus élevés (droits de douane). Elle ne confirme pas ce dont la presse faisait état, à savoir une recherche de co-investisseurs pour ses datacenters (Apollo était évoqué, pour 35 Md$) et une augmentation supplémentaire des capex en 2026. Au deuxième trimestre, l’objectif de chiffre d’affaires ne prend en compte qu’un ralentissement marginal des dépenses publicitaires dû aux clients e-commerce chinois. Pour l’année, la société revoit à la baisse ses dépenses de 1 Md$.
Malgré un 7ème trimestre de ventes en baisse en Chine, Apple délivre 5% de croissance de chiffre d’affaires (2% pour les ventes d’iPhones), et 8% de croissance de BPA. La croissance de chiffre d’affaires est attendue en ralentissement au T2, bien que les ventes en Chine s’améliorent et que les modèles dotés d’IA se vendent mieux. Dans son introduction, Tim Cook fait un point sur l’impact des droits de douane : à peu près nul au premier trimestre en raison de l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement et des stocks, difficile à estimer pour le trimestre en cours, avec des coûts supplémentaires estimés à 900 M$ et susceptibles d’augmenter ensuite, et ce bien que tous les iPhones vendus aux Etats-Unis au deuxième trimestre proviennent désormais d’Inde et du Vietnam. Enfin, la société n’a pas observé de demande inhabituelle, i.e. de stockage en anticipation de l’augmentation des taxes.
Pour Amazon, le trimestre est nettement supérieur aux prévisions, l’objectif pour le trimestre en cours déçoit. Le CEO indique n’avoir pas observé de ralentissement de la demande ni de hausses de prix, mais une accélération des achats dans certaines catégories qui pourrait être due à un stockage. La plateforme elle-même a constitué des stocks pour éviter d’avoir à augmenter les prix, et observe le même phénomène chez les vendeurs tiers. La croissance d’AWS, à 17%, déçoit par rapport à celle d’Azure, et n’est pas vraiment expliquée au-delà de problèmes de capacité (i.e. la demande liée à l’IA est toujours là). L’objectif de marge opérationnelle au T2 surprend négativement, et est attribué à contrecœur aux droits de douane, même si leur effet sera limité temporairement par le stockage mentionné précédemment. Dernier point sur l’IA : c’est la seule société à mentionner que l’expansion véritable n’aura lieu que quand les coûts d’inférence auront baissé, et qu’à ce stade beaucoup d’entreprises restent en mode wait and see.
En conclusion, la distorsion des résultats potentiellement engendrée par les droits de douane (via des stockages) apparaît relativement mineure, l’incertitude sur le reste de l’année est manifeste, et les dépenses de capex pour l’IA sont inchangées, voire revues un peu à la hausse. Difficile de prévoir comment cela se traduira dans les résultats d’Nvidia : les Chinois ont stocké l’équivalent d’un an de consommation des GPUs qu’ils sont autorisés à acheter, et Super Micro Computer (serveurs dédiés à l’IA) fait un profit warning attribué à des clients décalant leurs achats. Réponse le 28 mai.
Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement sur les thèmes ou les titres mentionnés.