Augmentation de la dette mondiale : les investisseurs obligataires sanctionnent les déficits excessifs

Semaine placée sous le signe de la hausse des taux longs dans le monde et par conséquent de la baisse des actifs risqués, l’Europe faisant pour une fois mieux que les Etats-Unis, où la très bonne tenue de l’emploi renforce la probabilité d’une pause dans l’assouplissement monétaire.

Exceptionnalisme américain, IA, déficits, bitcoin…retour sur les grandes tendances de 2024 pour anticiper celles de cette année.

Macro 🔭

 

Aux Etats-Unis, les données sur l’emploi sont globalement positives (augmentation du nombre d’offres, moindres inscriptions au chômage que prévu, créations d’emplois non agricoles nettement supérieures aux attentes, taux de chômage en baisse à 4,1%). La confiance du consommateur fléchit un peu, tandis que ses attentes d’inflation remontent (3,3% à un an et cinq ans). Le rendement des obligations d’Etat se rapproche des 5% : 4,6% pour l’adjudication du 10 ans en début de semaine (la précédente s’était faite à 4,2%) et 4,9% pour le 30 ans, et la hausse se poursuit (près de 4,8% pour le 10 ans en fin de semaine). Pour mémoire, une augmentation des taux longs reflète des attentes d’accélération de la croissance à long terme et/ou de l’inflation, ou des doutes sur la soutenabilité de la dette.

La confiance du consommateur en France baisse de nouveau en décembre, de même que dans l’ensemble de la zone €, où l’indicateur de sentiment économique baisse également. L’indice des prix à la consommation (inflation) remonte à 2,4% en décembre (1,3% en France). En positif, le taux de chômage est stable à 6,3% (donnée de novembre), le PMI composite de la zone € se rapproche de la barre des 50, et la production industrielle et les exportations allemandes se redressent. L’OAT 10 ans passe à 3,4% dans la semaine.

Au UK, le 10 ans atteint 4,8% en milieu de semaine, et le 30 ans retrouve un plus-haut depuis 1998.

Au Japon, on observe un petit fléchissement du PMI des services (néanmoins en expansion à 50,9) et une réduction plus significative de l’indicateur avancé, qui reste néanmoins à un niveau élevé. Le taux à 10 ans poursuit sa hausse (1,14% sur l’adjudication de mardi).

Les prix à la consommation en Chine restent à la limite de la déflation (+0,1% en décembre vs +0,2% le mois précédent). Le PMI des services (Caixin) s’améliore à 52,5.

Micro 🔬

Les livraisons de smartphones étrangers en Chine ont baissé de 47% en novembre, après 44% en octobre. Apple a surpris le marché à la hausse sur les ventes d’iPhones au cours des derniers trimestres, avec des ventes en Chine (16% du total lors de la dernière publication) stables ou en déclin modéré.

Microsoft compte dépenser 80 Md$ dans des datacenters pour l’IA, « l’électricité de notre époque », en 2025. A noter qu’il s’agit d’une estimation pour l’année fiscale, qui a commencé en juillet 2024, et représente donc en partie les dépenses déjà réalisées.

Le fabricant de batteries CATL (un tiers des batteries pour véhicules électriques dans le monde), Tencent, premier éditeur de jeux mondial et propriétaire du réseau social WeChat, et quelques autres rejoignent le registre fédéral américain des entités ayant des liens avec l’armée chinoise. Cette liste noire n’engendre pas de sanctions mais implique de la part des sociétés américaines plus de prudence quand il s’agit de nouer des liens. Tesla est le premier client de CATL.

Meta nomme deux proches de Trump à son conseil d’administration et revoit la méthode de modération des contenus de ses plateformes, remplaçant les factcheckers par des notes de la communauté, et déplaçant l’équipe de la Californie au Texas.

Samsung annonce des résultats préliminaires pour le quatrième trimestre très en-deçà des attentes, citant une faible demande pour les PC et les téléphones conventionnels. Le groupe perd des parts de marché contre SK Hynix dans les semiconducteurs de mémoire destinés aux puces d’Nvidia.

Le producteur d’électricité Constellation Energy serait sur le point de racheter Calpine (détenu par des investisseurs privés).

Le private equity a redémarré en 2024 selon PitchBook : augmentation de 12% des opérations en volumes, de 22% en valeur, et surtout augmentation de 20% des sorties (+50% aux Etats-Unis).

La minute innovation 🧚🏻

Jensen Huang, le patron d’Nvidia, annonce lors du Consumer Electronics Show de Vegas un PC personnel dédié à l’IA. Doté de 128 GB de mémoire et nommé à ce stade Project Digits, il devrait être disponible en mai au prix de 3000 $.

Sam Altman (OpenAI) est confiant dans sa capacité à construire une IA générative et estime que les premiers agents IA rejoindront les rangs de la main d’œuvre en 2025, augmentant significativement la productivité. C’est du moins ce qu’il expose dans ce blog, et c’est probablement un must s’il doit augmenter la souscription de ChatGPT Pro, actuellement de 200$/mois, et pas rentable.

Robots aspirateurs qui ramassent les chaussettes qui traînent, robots de support émotionnel, TV Oleds, smartglasses etc, le CES 2025 a délivré son lot de gadgets en tous genres (et quelques innovations utiles, dans le handicap notamment) : sélection d’Engadget ici et celle qui m’enchante ici.

La réalité du déficit

Les mouvements de marché de début d’année sont souvent erratiques, et à moins de deux semaines de l’intronisation de Trump, il n’est pas inutile prendre le temps d’analyser quelques grandes tendances de 2024, dont peut-être la constatation que le mythe du déficit de Stephanie Kelton était une escroquerie intellectuelle.

Exceptionnalisme américain, en voie de se transformer en retour de l’impérialisme : une récession qui n’est jamais arrivée (la croissance devrait s’établir à 2,7% pour l’année selon le Conference Board), un marché du travail en moindre surchauffe mais résistant remarquablement bien, une élection qui consacre la prééminence des discours martiaux dans tous les domaines, conclusion : +18% sur les bons du Trésor, de +10% (Russell 2000) à + 29% (Nasdaq) pour les actions, qui affichent une surperformance historique sur les actions européennes et émergentes, et +7% pour le $, qui affiche sa meilleure performance depuis 2015 et surperforme toutes les devises des pays développés.

Blues européen : la zone € devrait terminer 2024 avec un PIB en hausse de 0,9%, la devise approche de la parité avec le $, et les principaux pays de la zone sont sous surveillance des marchés grâce à des dirigeants moins clivants mais certainement pas plus brillants que leurs contreparties américaines. Le Stoxx 600 termine l’année en hausse de 6%, le DAX de 18%, tandis que le CAC 40 baisse de 2%.

Sursaut asiatique : Le Topix japonais n’est pas très loin derrière le S&P 500 avec une hausse de 20%. Les marchés émergents font marginalement mieux que l’Europe, malgré le rebond de la Chine.

Tech/IA : les 7 magnifiques battent des records, d’un petit +12% pour Microsoft aux 172% d’appréciation d’Nvidia, renforçant une concentration elle aussi historique du marché, bien illustrée ici. Trois titres du Nasdaq 100 font mieux qu’Nvidia : AppLovin (IA, +713%), Palantir (défense, +370%), MicroStrategy (proxy du bitcoin, +359%). La trajectoire d’Nvidia, la monétisation potentielle des investissements en IA et son impact, hypothétique également, sur la productivité, tirent les marchés. Les besoins en électricité des datacenters IA entraînent un regain d’intérêt pour les fournisseurs d’électricité, et notamment pour le nucléaire. Un mot du boss de Palantir, dans son prospectus d’IPO de 2020, que les dirigeants européens devraient méditer : The ability of our most vital institutions to protect and provide for the public requires the right technology. And we believe that as a result, over the long term, the strength and survival of democratic forms of government do as well.

Inflation : Désinflation aux Etats-Unis, mais toujours au-dessus de l’objectif de 2% et avec un petit sursaut en fin d’année ; même tendance en Europe; craintes de déflation en Chine ; sortie de déflation au Japon. 150 baisses de taux directeurs dans le monde, là aussi le Japon se distingue en entamant un resserrement très graduel avec une première hausse de taux en 17 ans, tandis que le Brésil relève brutalement le SELIC dans une tentative inutile de soutien de sa devise.

Hausse de la dette : pas d’exception américaine sur cet autre point saillant de l’année, avec un record historique pour la dette US, qui atteint 36 000 Md$ en fin d’année. A plus de 320 000 Md$, la hausse de la dette mondiale est tirée par la dette publique (qui en représente environ un tiers, excellente visualisation sur les trajectoires futures ici), alors que la dette privée se contracte. Les bond vigilantes (les investisseurs obligataires qui rappellent à l’ordre les emprunteurs excessifs) se manifestent aux quatre coins du monde : en France, où l’assurance contre un défaut sur la dette (Credit Default Swaps à 5 ans) affiche 62% de performance en 2024, au Brésil, ou le refus de Lula de s’attaquer au déficit entraîne une baisse de 20% du real sur l’année (et de 27% de l’iBovespa), partout lors de baisses de marché de courte durée provoquées par une déception sur la trajectoire des taux directeurs de la Fed en fin d’année ou le débouclement du carry trade sur le JPY l’été dernier. Et a contrario l’Argentine, où la restructuration drastique entraîne un rally du marché (+106% en $).

Or et bitcoin : Corollaire des inquiétudes sur la dette, l’or prend 27% sur l’année. Pour les mêmes raisons, assorties de l’autorisation des ETF bitcoins en janvier (l’ETF IBIT de BlackRock affiche la plus forte collecte dans l’histoire des ETF avec 50 Md$ en 11 mois), d’anticipations d’une réglementation favorable, voire d’une inclusion dans les réserves US, le bitcoin gagne 121% en 2024. Nous avons tenté d’analyser le phénomène ici et ici.

Commos : les difficultés de l’économie chinoise et celles, généralisées, de la construction immobilière et du marché des véhicules électriques, pèsent sur les matières premières (minerai de fer -25%, cobalt -15%, nickel -9%, cuivre +2%), tandis que les risques géopolitiques ne compensent pas le déséquilibre offre demande du pétrole, stable sur l’année. La chaleur de l’été a entraîné une surproduction de soja, dont les contrats ont perdu 27% en 2024. Pour le cacao, l’effet a été inverse, et les mauvaises récoltes ont fait flamber le prix des futures sur la fève de 176%.

Trump et al : souvenez-vous, l’année devait être agitée en raison d’une activité électorale inhabituelle, des élections se tenant dans plus de 60 pays. Finalement, une seule a compté et pour cause, puisque c’est celle d’un président qui pour paraphraser Faulkner estime que la loi est la ressource de l’invalide, du boiteux, de l’idiot et de l’aveugle. Long small caps US, banques, défense, bitcoin, everything Musk, short Mexique, peso, Europe, autos européennes, obligations d’Etat à long terme sont quelques-uns des Trump trades évoqués ici.

Nous verrons la semaine prochaine comment s’articulent ces thèmes en 2025, ce début d’année embrassant déjà celui de la dette, et vous souhaitons de tout coeur une bonne et heureuse année 2025.

Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement sur les thèmes ou les titres mentionnés.