commerce mondial

Les marchés américains terminent une semaine écourtée par le vendredi saint en baisse, échaudés par un discours restrictif du président de la Fed, tandis que les actions progressent au Japon, en Europe et en Chine.

Où en sont les estimations sur le commerce et le PIB mondiaux en 2025 ?

Macro 🔭

 

Aux Etats-Unis, les indices d’activité des entreprises sont corrects pour la situation présente, moins pour les perspectives : l’Empire State Manufacturing d’avril baisse un peu moins que prévu, mais les entreprises sont plus pessimistes sur l’avenir qu’elles ne l’ont jamais été. Le Philly Fed se reprend un peu, sur des niveaux très dégradés, mais les composantes nouvelles commandes et emploi plongent. Avec un taux hypothécaire à 30 ans revenu à 6,8%, les données du marché immobilier sont sans surprise décevantes, notamment les mises en chantier. Côté consommation, la plus forte augmentation des ventes au détail en deux ans (4,6% annualisé en mars) est attribuée à des achats de « panique », de véhicules notamment, avant la hausse des taxes prévue début avril. Les anticipations d’inflation des consommateurs augmentent à un plus-haut depuis octobre 2023. En revanche, l’emploi tient : les inscriptions au chômage sont inférieures aux attentes. Le retrait supposé des investisseurs des actions et des obligations d’Etat n’est pas observé dans les flux de capitaux étrangers de février, très nettement positifs. Le président de la Fed, Jerome Powell, déclare que sa mission est d’ancrer les attentes d’inflation à long terme et que l’institution pourrait se retrouver dans une position où ses deux mandats (emploi et inflation) seraient en opposition, i.e. où la croissance ralentirait dans un contexte d’inflation élevée. Traduction : pas de baisse des taux au premier signe de ralentissement, et fureur de Trump, qui menace de virer Powell.

Alors que la production industrielle progresse pour la première fois depuis deux ans, l’indice de sentiment économique ZEW dans la zone € plonge en avril à un niveau plus atteint depuis décembre 2022. L’inflation ralentit encore en avril (2,2% annualisé). La BCE baisse ses taux de 0,25%, sans surprise, et fait état d’inquiétudes sur l’impact des tensions commerciales sur la croissance et sur les conditions de financement, ouvrant la voie à des baisses supplémentaires. Les négociations sur les droits de douane avec l’administration américaine patinent.

Au Japon, l’indice Tankan de sentiment dans l’industrie rebondit fortement malgré les incertitudes liées aux droits de douane (25% pour l’automobile notamment). Les exportations ralentissent abruptement en raison des droits de douane sur l’aluminium et l’acier. L’inflation décroît pour le troisième mois d’affilée, passant de 3,7% en février (annualisé) à 3,6% en mars grâce à un petit tassement des prix de l’alimentation et de l’énergie. La banque centrale devrait revoir ses attentes de croissance à la baisse la semaine prochaine, et laisser ses taux inchangés pour l’instant en raison des incertitudes liées à la guerre commerciale.

Les exportations chinoises progressent fortement en mars (+12,4%), toujours en anticipation de leur renchérissement. La croissance du PIB au premier trimestre accélère (5,4%) alors que le consensus attendait un léger ralentissement. Même surprise positive pour la production industrielle et surtout les ventes au détail, pour mars dans les deux cas, tandis que le taux de chômage baisse (5,2%). Les investissements directs étrangers sont encore en baisse (-11%), mais significativement moins que mi-2024. Le gouvernement déclare accepter des négociations sur les droits de douane à condition que les Etats-Unis, et l’entourage de Trump en particulier, fassent preuve de respect.

Micro 🔬

Cinq des six plus grandes banques américaines, parmi les premières à publier, ont annoncé des résultats supérieurs aux attentes, Wells Fargo étant comme souvent l’exception. La performance doit beaucoup aux activités de trading, favorisées par l’augmentation de la volatilité. La banque d’investissement, en revanche, est pénalisée par les incertitudes économiques actuelles, tandis que le consommateur reste résilient, avec des taux de défaut en légère hausse (cartes de crédit et prêts automobiles notamment), mais sur des niveaux encore faibles. JP Morgan estime désormais la probabilité d’une récession à 50%, et Dimon ajoute que les attentes de croissance de BPA pour le S&P 500 sont passées de +10 à +5%, et qu’il estime qu’on sera à -5% bientôt.

Apple aurait fait venir l’équivalent de 2 Md$ de produits d’Inde par avion en anticipation de l’augmentation des taxes à l’importation. Quand on vous dit qu’une chaîne d’approvisionnement ne se gère pas à la semaine.

Selon Bloomberg, la Chine a ordonné à ses compagnies aériennes de ne plus passer de commandes à Boeing.

Un juge fédéral tranche en défaveur de Google dans l’un de ses procès anti-trust, déclarant que la société a monopolisé illégalement deux des trois sous-segments du marché de la publicité en ligne. Le prochain verdict déterminera ce que Google, qui a l’intention de faire appel, doit faire pour rétablir une situation de concurrence, ce qui pourrait impliquer une scission.

Meta fait aussi face à l’anti-trust américain, qui l’accuse de monopole illégal dans les médias sociaux, et d’avoir essayé d’acheter ou d’enterrer ses concurrents. Zuck fait valoir qu’il a fait des propositions à Snap et Twitter, qui auraient pu aussi devenir des réseaux « monstres » et n’y sont pas parvenus, et qu’Instagram et whatsapp, sans lui, auraient connu la même trajectoire. Devant la concurrence que faisait Instagram à Facebook (et face au risque d’anti-trust), Meta a même envisagé un spinoff en 2018.

Le gouvernement américain interdit à Nvidia de vendre ses puces H20 à la Chine. Ces puces sont les plus avancées que le fabricant de semiconducteurs soit autorisé à livrer à la Chine, en vertu de restrictions mises en place par Biden. La société pourrait avoir à déprécier 5,5 Md$ de stocks.

Les résultats d’ASML (équipementier semiconducteurs) sont conformes aux objectifs, mais les prises de commande sont nettement inférieures aux attentes. Le CEO déclare que la demande reste forte, tirée notamment par l’intelligence artificielle, mais que l’incertitude liée aux droits de douane pourrait impliquer des ventes annuelles dans la fourchette inférieure des objectifs communiqués auparavant. Le premier client de la société, le Taiwanais TSMC, publie un chiffre d’affaires en hausse de 42% au premier trimestre, maintient ses objectifs annuels (environ 25% de croissance), et note que, bien que l’incertitude sur l’impact des droits de douane soit élevée, ses clients (dont Nvidia fait partie) n’ont pas changé d’attitude.

Toutes les divisions de LVMH sont à l’arrêt ou en baisse au premier trimestre, et seules les ventes en Europe enregistrent un peu de croissance (2%), tandis que l’Asie hors Japon baisse de 11% et les Etats-Unis de 3%, avant même l’entrée en vigueur de droits de douane et la matérialisation de l’impact de la volatilité boursière sur les consommateurs aisés. Même Hermès déçoit sur ses ventes trimestrielles, à la marge néanmoins (+7%). La société ne note pas de changement d’attitude de ses consommateurs américains, affirme qu’elle répercutera intégralement les hausses de taxes dans ses prix, souffre encore d’une demande faible en Chine, et ravit la place de première capitalisation boursière française à son rival.

La minute innovation 🧚🏻

Sept ans après sa première tentative, Circle, qui gère la deuxième cryptomonnaie stable ou stablecoin, l’USDC (60 Md$ de capitalisation), a déposé son prospectus d’IPO au début du mois. La valorisation cible serait de 4 à 5 Md$, soit 29x les résultats 2024 en milieu de fourchette. JP Morgan (dont le boss a récemment qualifié les cryptos de schémas de Ponzi décentralisés) serait chef de file de l’opération. Détails ici.

OpenAI serait en train de développer un réseau social concurrent de X.

Alors que se tient aujourd’hui à Shanghai le premier semi-marathon comptant des participants humanoïdes, Atlas, le robot de Boston Dynamics, a appris à courir, ramper et faire des roulades.

Game of chicken 🥚

L’Organisation Mondiale du Commerce publie cette semaine son dernier rapport sur les perspectives et statistiques du commerce mondial. En 2024 les ventes de marchandises ont crû de 2,9% en volume (2% en valeur) dans le monde, celles de services de 6,8% (9% en valeur), et le PIB de 2,8%. En 2025, pour les échanges de biens, l’OMC projette une baisse de 0,2%, presque 3% de moins que dans ses prévisions d’octobre 2024. Avec un scénario à -1,7% si les droits de douane réciproques, actuellement suspendus pour 90 jours, sont mis en place et si l’incertitude commerciale a des effets plus larges. Pour les échanges de services, la prévision passe de 5 à 4%. L’institution revoit également à la baisse ses attentes de croissance du PIB mondial : 2,2% en 2025 (contre 2,8% dans sa précédente estimation), et 0,9% en scénario dégradé. Que ce soit pour le commerce ou le PIB, ce sont les Etats-Unis qui subissent l’impact le plus important.

Le Fonds Monétaire International s’apprête à faire le même exercice lors de sa réunion de printemps, qu’il introduit par un discours accusant ouvertement la Chine de subventionner son industrie, mettant l’accent sur l’importance de maîtriser la production des biens stratégiques (pour la sécurité nationale notamment), et concluant que le commerce est comme l’eau : mettez un obstacle et il sera contourné, entraînant au passage inondations et sécheresses. Les prévisions du FMI seront mises à jour la semaine prochaine : la croissance sera sensiblement revue en baisse, mais pas au point d’anticiper une récession, et l’inflation en hausse pour certains pays.

L’incertitude sur le schéma final, ainsi que sur les mesures de relance que certains pays pourraient envisager, mène à des fourchettes très larges en ce qui concerne les prévisions de l’impact des droits de douane sur la croissance : – 1 à -2,5% sur le PIB chinois, – 0,5 à -1% sur la zone €, -0,6% (Yale) à -2,5% (Fitch) sur le PIB US, voire -6% à long terme (Penn Wharton). Rien que la baisse du tourisme est évaluée par Goldman à 0,3% du PIB, et déjà acquise : en mars, les entrées de touristes européens aux Etats-Unis baissent de 14%, le nombre d’arrivées dans les dix premiers aéroports du pays est passé en négatif, et les roadtrips depuis le Canada baissent de 30%.

La traduction la plus approchante de Game of chicken est bras de fer, qui ne reflète pas parfaitement ce jeu de stratégie illustré dans La fureur de vivre par les courses de voitures vers un ravin, où le premier à sauter de la voiture est le lâche (chicken). La guerre commerciale est violente, alors que Bessent lui-même écrivait l’année dernière que « le pistolet des tarifs serait toujours chargé et sur la table mais rarement utilisé ». La capacité de résistance (et d’unité) des Européens reste à prouver, le Japon a été invité le premier à la table des négociations, la Chine opte pour la bataille : les Etats-Unis absorbent certes 15% de leurs exportations (autant que l’Europe et depuis peu moins que l’ASEAN), mais les Etats-Unis sont dépendants de la Chine pour les terres rares, et donc l’électronique et la défense, et ne peuvent pas se passer de sa production : le rêve américain, c’est la consommation, pas le travail à la chaîne dans une usine de fabrication de smartphones.

C’est le moment de revoir la théorie des jeux : ici, elle est appliquée aux taxes Trump, et ici, au bully de la cour de récré. A méditer : le harcelé, en résistant, aggrave sa situation, mais moins que celle du harceleur. Cela semble être la ligne de Powell.

Joyeuses Pâques.

Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement sur les thèmes ou les titres mentionnés.