
Le rebond déclenché par les renégociations de droits de douane s’essouffle aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe cette semaine, tandis qu’il se poursuit sur les marchés asiatiques.
Retour sur quelques convictions d’investissement avec la grille de lecture de Warren Buffett, qui annonce cette semaine quitter prochainement la direction générale de Berkshire.
Macro 🔭
Aux Etats-Unis, l’ISM des services rebondit, a contrario des tendances récentes. Le déficit du commerce extérieur, qui augmente de 14% en mars, atteint un nouveau record. L’indice d’optimisme économique de RealClearMarkets poursuit sa baisse. L’immobilier affiche pour une fois un signal positif avec une forte hausse des demandes de prêts hypothécaires. Les inscriptions au chômage restent dans la moyenne des semaines précédentes. La Fed laisse ses taux inchangés (4,25%-4,5%) et déclare que le risque d’une inflation et d’un taux de chômage plus élevés ont augmenté, et qu’il n’y a pas d’urgence à baisser les taux. Le marché attend toujours trois baisses cette année.
En Europe, le PMI de la construction reste en contraction (il l’est depuis trois ans), mais nettement plus modérée. La progression des ventes au détail est poussive. La croissance des prix à la production ralentit en mars. L’Eurozone étudie des taxes sur 95 Md€ d’exportations américaines supplémentaires, dont l’aéronautique, l’automobile et les machines industrielles, pour le cas où Trump ne reviendrait pas sur la hausse de taxes devant entrer en vigueur en juillet. A la lecture de l’accord commercial avec le UK, on comprend qu’Ursula van der Leyen hausse le ton, même s’il est probablement un peu tard : Keir Starmer obtient quelques concessions des Etats-Unis, sur l’aluminium, l’acier et l’auto (interprétées différemment par les deux parties dans leurs communiqués de presse), contre le maintien des droits de douane de 10%, un accès plus rapide au marché britannique et des taxes réduites pour certains produits de l’agriculture, de la chimie et de l’industrie américaines.
Au Japon, le PMI composite repasse en zone d’expansion. Les dépenses de consommation des ménages repartent à la hausse en mars après l’interruption du mois précédent tandis que l’indice avancé, toujours pour mars, se tasse en raison de la détérioration du sentiment des mêmes consommateurs.
La Chine annonce une baisse de taux et de nouvelles mesures de relance évaluées à près de 300 Md$. Le PMI composite (Caixin) d’avril, bien que toujours en expansion, commence à refléter l’impact de la guerre commerciale (ralentissement des nouvelles commandes et sentiment économique au plus bas depuis 2012). L’excédent de la balance commerciale surprend néanmoins favorablement grâce à des exportations en hausse encore significative en avril (+8,1% par rapport à avril 2024), et ce malgré une baisse de 21% des exportations vers les Etats-Unis ; de quoi se présenter un peu plus sereinement à la rencontre prévue ce week-end entre Scott Bessent et le Vice-Premier ministre He Lifeng pour de premières négociations sur les droits de douane.
Micro 🔬
La baisse des ventes de Tesla en Europe se poursuit en avril : de -36% en Espagne à – 81% en Suède (-59% en France).
Les résultats de Disney battent allègrement le consensus. Les revenus publicitaires des chaînes traditionnelles baissent de 10%, ceux des chaînes de sport (ESPN) augmentent de 22%, et le groupe annonce de la création d’un septième parc d’attractions, le premier au Moyen-Orient, situé à Abu Dhabi. Les activités de loisirs de Disney résistent mieux à un ralentissement économique que le tourisme, Expedia venant allonger cette semaine la liste des déceptions de voyagistes avec des résultats trimestriels inférieurs aux attentes et des objectifs annuels revus à la baisse en raison d’une faible demande aux Etats-Unis.
Ford renonce à ses objectifs annuels et déclare que les droits de douane lui coûteront 1,5 Md$ d’EBITDA.
Palantir subit une rare baisse cette semaine malgré des résultats stellaires et des objectifs revus à la hausse. Pas de raison évidente donc, hormis le fait que malgré la forte croissance et le positionnement au maximum de la hype (défense et IA), une valorisation à 200x les résultats n’est pas sans risques.
Le concurrent d’Nvidia AMD publie de très bons résultats, avec des ventes en hausse de 36% (+57% pour la division datacenters), et des objectifs ambitieux pour le deuxième trimestre, mais annonce un quasi-doublement de l’impact des restrictions sur les exportations de semiconducteurs à 1,5 md$.
Alphabet affiche une baisse de plus de 7% mercredi en raison du témoignage d’un responsable d’Apple dans le cadre du procès anti-trust de Google. Le message à l’origine de la baisse : le volume de recherches Google dans Safari a baissé le mois dernier pour la première fois. Le dirigeant estime que les chatbots IA d’OpenAi, Perplexity et Anthropic remplaceront la barre de recherche Google.
DoorDash lance une OPA sur Deliveroo pour 2,9 Md£, environ la moitié du cours d’introduction (en 2021). Amazon, actionnaire à hauteur de 14%, pourrait faire une contre-offre.
Le titre du fabricant danois de traitements contre le diabète et l’obésité Novo Nordisk rebondit après un premier trimestre de bonne facture et une révision à la baisse largement anticipée des objectifs annuels : croissance de 13 à 21% du chiffre d’affaires à changes constants contre 16 à 24% auparavant. Victime du succès des traitements anti-obésité de Novo et de son concurrent Eli Lilly, Weight Watchers entre en chapter 11 et devrait émerger de cette procédure de sauvegarde dans 45 jours, après avoir fait défaut sur 1 Md$ de dette.
La minute innovation 🧚🏻
Google lance une mise à jour de Gemini 2.5 Pro qui lui permet de prendre la tête du classement des modèles pour les développeurs, devant Anthropic.
OpenAI adoptera finalement une structure de société d’intérêt général à but lucratif dont le contrôle restera dans les mains d’une organisation à but non lucratif, en conclusion de discussions avec des membres de la société civile et les procureurs généraux de Californie et du Delaware. La société recrute au passage la Française Fidji Simo pour diriger sa division Applications. Une société d’intérêt général à but non lucratif selon les lois du Delaware est une entité dont les dirigeants et administrateurs doivent veiller à l’équilibre entre les actionnaires et ceux dont les intérêts sont affectés matériellement par la conduite des affaires. Anthropic et xAI sont également des Public Benefit Corporations, un statut récent et dont la capacité à protéger l’intérêt général semble imitée : pas de standards indépendants pour évaluer l’atteinte des objectifs, et nécessité de détenir 2% du capital pour lancer une procédure s’ils ne sont pas atteints.
L’Américain moyen a moins de trois amis, et bénéficierait d’avoir une IA à qui parler. C’est Zuck qui le dit.
Mistral AI lance Medium 3, un modèle un peu inférieur aux concurrents (équivalent à Claude 3.7 Sonnet ou GPT-4o) mais huit fois moins cher.
Born in the USA 🐞
A la toute fin de l’assemblée générale de Berkshire Hathaway, Warren Buffett a annoncé qu’il laisserait la direction générale de la société à son successeur désigné Greg Abel à la fin de l’année. Il part avec un trackrecord de 5 500 000% de 1964 à 2024, soit environ 20% par an, et la place de huitième capitalisation boursière mondiale pour sa société. Tout ayant été écrit sur Warren, j’ai choisi de reprendre les éléments de la session de questions-réponses de l’AG confortant (ou pas) les scénarios d’investissement adoptés en début d’année pour 2025.
Exceptionnalisme américain
Ce n’est pas à 94 ans que Warren trahira son amour inconditionnel pour son pays. Interrogé à ce sujet, il botte en touche à plusieurs reprises: We’re always in the process of change, and we’ll always find all kinds of things to criticize in the country. But the luckiest day in my life is the day I was born, because I was born in the United States.
Conviction : leadership durablement fragilisé – S&P 500 en monnaie locale depuis le début de l’année : -3,8% malgré le rebond récent.
Droits de douane
Déjà préoccupé par le déficit budgétaire au début des années 2000, Buffett avait proposé de mettre en place des certificats d’importation dans sa lettre aux actionnaires de 2003. Il soutient cette semaine qu’ils étaient très différents des droits de douane actuels et conclut qu’il n’y a « aucun doute sur le fait que le commerce puisse être un acte de guerre », avertissant contre les risques associés à un monde où quelques pays font étalage de leur victoire tandis que les autres les envient. With eight countries possessing nuclear weapons, including a few I would call quite unstable, I don’t think it’s a great idea to design a world where a few countries say, “Haha, we’ve won” while other countries are envious.
Conviction: cf exceptionnalisme américain.
Investissements en dehors des Etats-Unis
La diversification géographique est rarement abordée chez Berkshire, très américain. En réponse à une question sur le Japon, il répond qu’il n’a pas d’avis sur l’économie japonaise, mais que les cinq trading companies dans lesquelles des participations ont été initiées il y a 6 ans et sont en portefeuille « pour 50 ans ou pour toujours ».
Conviction : plus de Japon, de Chine et d’Europe que d’US cette année. A date : Topix -1,8%, Nikkei -6%, Hang Seng +14%, CSI 300 (valeurs domestiques) -2,3%, Eurostoxx +10,3%.
Dette
C’est ce qui le préoccupe le plus aux Etats-Unis et dans le reste du monde. We’re operating at a fiscal deficit now that is unsustainable over a very long period of time. We don’t know whether that means two years or 20 years because there’s never been a country like the United States.
Conviction : le principal risque pour tous les marchés.
Devises
Corrélaire de la dette, la trajectoire du $ est préoccupante, et le mouvement s’est enclenché plus rapidement que je ne le pensais. That’s the big thing we worry about with the United States currency. I mentioned very briefly in the annual report that fiscal policy is what scares me in the United States because of the way it’s made, and all the motivations are toward doing things that can cause trouble with money.
Conviction : pas de raisons à ce stade de voir la tendance s’inverser – Cours du DXY depuis le début de l’année : -7,5% après le petit rebond des derniers jours.
Quant au JPY, en réponse à une question sur ses emprunts dans cette devise, il explique que ce n’est pas du carry trade comme il est largement pratiqué (emprunt en JPY à taux très faibles pour financer des achats dans d’autres devises), mais la contrepartie de ses investissements dans des actions japonaises. Et qu’il est aussi serein sur la devise que sur les actions en question : very comfortable with the currency we would ultimately realize in yen.
Conviction : pari long terme, pour l’instant pas vraiment validé, les droits de douane compliquant un peu la reprise japonaise et contraignant donc la banque centrale dans sa volonté de monter les taux -cours du JPY en EUR depuis le début de l’année : -0,5%.
Trésorerie
Berkshire détient près de 350 Md$ de trésorerie, soit plus d’un quart de ses actifs, contre 13% en moyenne sur les 25 dernières années. Un investissement de 10 Md$ dont la nature n’a pas encore été communiquée a été réalisé au premier trimestre. L’oracle d’Omaha ne se prononce jamais sur le directionnel de marché, il se contente donc cette semaine de réitérer sa conviction : We have made a lot of money by not wanting to be fully invested at all times. (…) Occasionally, very occasionally – but it’ll happen again, I don’t know when – it could be next week, it could be 5 years off, but it won’t be 50 years off – we will be bombarded with offerings that we’ll be glad we have the cash for.
Conviction : incertitudes élevées, garder du cash est un acte de gestion.
Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement sur les thèmes ou les titres mentionnés.