Prises de bénéfices après le Trump rally, ralentissement de la désinflation aux Etats-Unis et propos moins accommodants de Jerome Powell entraînent une baisse généralisée des marchés cette semaine.
Le bitcoin se décorrèle cette fois de la bourse, et dépasse les 90 000$. Approche-t-il de la dernière étape de l’institutionnalisation ?
Macro 🔭
Aux Etats-Unis, les prix à la consommation augmentent de 2,6% (octobre 2024 par rapport à octobre 2023), les prix à la production de 2,4%. L’inflation ne décline plus en raison d’effets de base moins favorables des prix de l’énergie, tandis que services et logement restent au-dessus de 4%. Les inscriptions au chômage hebdomadaires restent sur leur tendance récente (217 000). Powell qualifie la croissance économique récente de remarquable et déclare qu’il n’y a pas d’urgence à baisser les taux. La probabilité d’une baisse de 0,25% lors du FOMC de décembre passe de 80% à un peu plus de 50%. Les sondages auprès des entreprises rebondissent, parfois très significativement (pour l’enquête manufacturière de la Fed de New York), signalant sans doute l’optimisme des entrepreneurs post-élections, mais contredites par des données plutôt médiocres cette semaine, pour la production industrielle notamment. Les Républicains obtiennent la majorité à la chambre basse mais de peu, et élisent un modéré (et un partisan des énergies renouvelables) à la présidence du Sénat. La nomination de l’anti-vax (entre autres) Robert F. Kennedy Jr à la tête du Department of Health and Human Services n’est pas une bonne nouvelle pour la science et pour les big pharma.
L’indice ZEW de sentiment économique dans la zone € baisse fortement, de même que la production industrielle (septembre). La croissance du PIB au troisième trimestre est évaluée à 0,9% en première estimation. La Commission Européenne attend une reprise de la croissance de 0,8% cette année à 1,3% en 2025 et 1,6% en 2026. Une accélération, même sur des niveaux modestes, est généralement positive pour les actifs cotés, très en retard sur leurs équivalents américains, mais on a quand même un peu de mal à y croire. La CE ajoute d’ailleurs une note de prudence sur les « challenges structurels » et l’incertitude géopolitique, et ne mentionne pas la question des droits de douane.
Au Japon, les prix à la production augmentent de 3,4%. Le PIB a augmenté de 0,9% au T3, au-delà des attentes du marché mais en ralentissement sur le T2 (2,2%). La consommation privée se reprend, et pourrait être soutenue par un plan de relance de 87 Md$ envisagé par le gouvernement.
En Chine, les prix de l’immobilier ne baissent « que » de 5,9% en octobre, en ligne avec le mois précédent. La production industrielle ralentit un peu à +5,3% et les ventes au détail affichent leur progression la plus rapide des 8 derniers mois (4,8%) en octobre. Le rééquilibrage tant attendu de la production vers la consommation serait positif s’il était confirmé dans les prochains mois. Selon l’excellent Sinocle, 38% des entrepreneurs chinois ont accueilli l’élection de Trump avec beaucoup de calme, et ils sont à peu près aussi nombreux à être optimistes que pessimistes ou inquiets.
Micro 🔬
Un juge autorise la FTC à poursuivre son enquête sur Meta. L’antitrust estime que le groupe a utilisé les acquisitions d’Instagram et de Whatsapp pour établir un monopole illégal dans les réseaux sociaux. La FTC va également enquêter sur les pratiques de Microsoft dans le cloud.
Le rebond de Disney (qui traite encore à près de 50% de son plus-haut de 2021) se poursuit grâce à des résultats trimestriels supérieurs aux attentes. Surtout, la profitabilité du streaming est de nouveau au rendez-vous, même si elle est encore marginale. Les parcs en revanche souffrent d’une baisse de la demande en raison des hausses de prix.
Shopify, le système d’exploitation pour les e-commerçants, affiche 26% de croissance de chiffre d’affaires au troisième trimestre, et presque autant de hausse de cours le jour de l’annonce.
Le spécialiste néozélandais du lancement de satellites Rocket Lab signe une des fortes hausses de la semaine sur la publication de ses résultats du T3 et de ses objectifs pour le T4….
Trump cause (déjà) des remous sur les marchés : Reuters évoque son plan de proposer au Congrès l’annulation du crédit d’impôt de 7500$ pour l’achat d’un véhicule électrique, pesant sur les titres de l’automobile, dont Rivian qui annonce par ailleurs une extension de l’accord de joint-venture avec Volkswagen.
Burberry Group rebondit sur l’annonce par le CEO récemment nommé d’un plan de redressement dont la pertinence reste à démontrer. Les ventes du semestre à fin septembre baissent de 20% à magasins comparables, le groupe affiche une perte opérationnelle, et le nouveau dirigeant ne s’engage pas sur un retour à la profitabilité pour le prochain semestre.
Lors de sa journée investisseurs, le fabricant de machines de lithographie UV pour la production de puces ASML réitère son objectif de chiffre d’affaires 2030 compris entre 44 et 60Md€, rassurant les investisseurs après la déception sur les commandes du troisième trimestre et les objectifs 2025. Le trackrecord de la société est bon, mais on notera que le management ne s’engage pas sur 2025.
L’Etat italien vend 15% de Monte Paschi à des industriels italiens et à Banco BPM.
La minute innovation 🧚🏻
Google DeepMind met à disposition des chercheurs (en open source) son modèle prédictif de la structure des protéines AlphaFold 3, qui a valu à l’équipe le Nobel de chimie 2024.
OpenAi prépare le lancement d’un agent capable de contrôler un navigateur pour réaliser des tâches pour le compte de l’utilisateur, telles qu’écrire du code ou réserver un voyage. Une version test est prévue pour janvier. Elle permettrait de compenser la déception subie par la société avec Orion, la version test du nouveau ChatGPT, qui a échoué à répondre à des questions de code sur lesquelles il n’était pas entraîné. Le chemin vers l’intelligence artificielle générale est plus ardu que prévu.
La fintech suédoise Klarna, spécialisée dans le Buy Now Pay Later, annonce avoir déposé son dossier d’IPO auprès de la SEC. La dernière valorisation serait de 14,6 Md$, une amélioration par rapport aux 6,7 Md$ de la levée de 2022, mais loin des plus de 45 Md$ de 2021.
La décorrélation du bitcoin
Contrairement aux autres marchés, le bitcoin a continué de progresser dans la foulée de la victoire de Trump, et de celle du sénateur républicain et crypto-fan Bernie Moreno dans l’Ohio, qui s’opposait lors de l’élection au président du Senate Banking Committee, hostile aux cryptomonnaies. L’industrie a été la première pourvoyeuse de fonds de cette campagne présidentielle.
A 1800 Md$, la capitalisation du bitcoin est désormais la huitième au monde, juste derrière Saudi Aramco, et à environ 10% de celle de l’or (visualisation ici). 19,78 millions de tokens sont en circulation, sur les 21 millions prévus par le protocole. Comme l’or, le bitcoin est un actif improductif. L’or a un peu plus d’usages : environ 7% de la demande est destinée à la production électronique, et près de 50% à la bijouterie, mais celle-ci est souvent destinée à remplir la même fonction que le solde de la demande, à savoir une réserve de valeur. Enfin, l’usage du bitcoin comme monnaie d’échange reste marginal.
Jeudi, un projet de loi a été déposé à la chambre des députés de Pennsylvanie par le Républicain Mike Cabell. Il vise à autoriser l’Etat à allouer environ 10% de ses réserves au bitcoin. Il y a quelques mois, une sénatrice du Wyoming avait déposé un projet de loi visant à créer une réserve stratégique d’un million de bitcoins aux Etats-Unis, proposant même de vendre une partie des réserves d’or pour financer l’achat. Le gouvernement en détient déjà 200 000, résultant de saisies de criminels, ce qui en fait la deuxième détention publique après la Chine. La probabilité assignée à l’établissement de cette réserve sur la plateforme de paris Polymarket est d’environ 30%.
17% des adultes américains ont déjà acheté une crypto, une proportion inchangée depuis 2021 selon un sondage du Pew Research Center. Chez les hommes âgés de 18 à 29 ans, c’est 42%. En Europe, les chiffres sont similaires. Quant au taux de détention de cryptomonnaies de la population française, il serait selon les sources situé entre 10 et 18%. De quoi laisser songeur quand on sait que pour les actions en direct, il était selon l’AMF de 6,8% en mars 2023.
Le bitcoin bénéficie donc de facteurs de soutien conjoncturels indéniables. Et sans aucun doute structurellement de la défiance de plus en plus marquée vis-à-vis des grandes devises, dans un contexte d’augmentation généralisée de la dette publique. La hausse de cette semaine est néanmoins probablement spéculative, puisque l’autre actif anti-inflation, l’or, a fait l’objet de prises de bénéfices. Le statut de monnaie de réserve serait l’aboutissement d’une institutionnalisation commencée avec le lancement de nombreux ETF en début d’année. Reste à faire confiance à une opération pilotée par un président capable, entre autres, de créer pour Musk un ministère nommé Department of Government Efficiency en référence à une crypto fantaisiste, le Dogecoin, créée comme une plaisanterie et qui capitalise désormais plus que Ford ou General Mills.
Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement sur les thèmes ou les titres mentionnés.